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Hervé

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L'Oeil Magique
(Palmeira - Cap Vert - Océan Atlantique)

Le paysage qui nous entoure est lunaire : aucune végétation n'apparaît. De la platitude environnante, une montagne meurtrie, aux cicatrices, aux cratères multiples, se dresse. Imperceptiblement, la musique sans relief d'un vent fort fait place au martellement des vagues sur la falaise. En effet, derrière la montagne, de larges marches naturelles, d'un noir irréel, contrastent avec la blancheur d'une écume venue d'un océan furieux. Où se trouve le site paradisiaque promis, en cet enfer ? "Tout près d'ici", affirment les locaux ! Mais, tel Ulysse, il va nous falloir affronter Charybde et Scylla, avant que de voir la douce place où vit Nausicaa.

Les chaussons à semelle rigide éloignent de nos pieds les griffes acérées de la pierre volcanique. Nous devons observer le rythme de l'Océan pour sauter, d'une hauteur d'environ trois mètres, sans être refoulés brutalement vers le rivage tranchant.

Nous devrons nous soumettre à cette même exigence, due à la relative et passagère clémence de Poséidon lors du retour, qui se fera grâce à une échelle de corde. Toutefois, nous nous serons délestés de nos bouteilles et de nos palmes qui auront été hissées au moyen d'un filin !

Nous hésitons pour ce saut vers l'inconnu. Il faut avouer qu'un natif de ces îles perdues, ancien pêcheur de langoustes(1), et reconverti en guide de plongée, nous escorte. Son assurance nous rassure. Cet Hermès des flots, après s'être élancé le premier, nous mène à vingt-six mètres de profondeur devant une étroite ouverture. L'ayant franchie, le calme demeure dans une vaste salle, quasi sphérique, où se distingue, à l'opposé de notre entrée, une vague lueur chancelante. Arrivés à cet endroit, un puit d'une quinzaine de mètres de hauteur, pour un diamètre approximatif de sept mètres, s'élève et notre curiosité nous aspire vers la lumière, maintenant très distincte. Parvenus en surface, nous découvrons une autre salle voutée ; bien qu'aérienne, elle est identique en forme, et cependant de dimension plus réduite que la sous-marine. Le soleil pénètre avec violence par une unique ouverture sommaire : nous avons devant nous l'Oeil Magique. Après un silence de recueillement, et aussi après nous être habitués à ce brutal contraste, nos voix mélées laissent éclater leur joie païenne, et se répercutent en écho, dans cette cathédrale au vitrail exclusif et grandiose.

A regret, envoutés par l'oeil cyclopéen qui nous regarde, nous nous immergeons pour une plongée consécutive, en respectant scrupuleusement la courbe de sécurité.

Le retour est aussi périlleux que nous l'avions envisagé, mais l'euphorie nous portant, nous retrouvons la terre ferme... mais glissante, en un sourire désormais complice.
 

1. Palimerus elephas